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24 Feb

Simone Gbabgo, «confiante» à la barre

Publié par SAIDICUS LEBERGER  - Catégories :  #COTE D'IVOIRE

Simone Gbagbo
Simone Gbagbo

L'épouse de Laurent Gbagbo passe aux assises à Abidjan pour «atteinte à la sureté de l’Etat» dans le cadre de la crise postélectorale de 2010-2011.

«On ne badine pas avec moi», prévenait l’intimidante Simone Gbagbo au visage carré, alors première dame, lors d’une interview en 2001. Une fermeté et une «trempe de ministre», selon ses propres termes, qu’elle démontre pleinement l’année suivante, lorsqu’un coup d’Etat manqué parti du nord de la Côte-d’Ivoire aboutit à une partition du pays.

Une «sédition» pourfendue par la «dame de Fer» ivoirienne, qui l’imputera publiquement au «chef des bandits», Alassane Ouattara, l’actuel président de la République, qui avait remporté l’élection présidentielle de 2010 avec 54,1% des voix. Mais Laurent Gbagbo et son clan ont refusé de quitter le pouvoir.

Celle que ses supporteurs appellent avec tendresse «Maman», quand le camp adverse la qualifie de «sorcière», a vu son image considérablement s’écorner le 11 avril 2011.

Ce jour-là, toutes les télévisions du monde l’ont montrée les tresses ébouriffées et la mine décomposée. La force française Licorne et la mission de l’ONU en Côte-d’Ivoire avaient pilonné des jours durant la résidence présidentielle.

Mais les Gbagbo avaient été arrêtés, en compagnie de leurs proches, par des combattants pro-Ouattara. L’icône d’une Lady MacBeth à l’africaine, sans-pitié et impériale, avait alors pris un cinglant revers. Près de quatre ans plus tard, c’est pourtant par un victorieux sourire et habillée d’une robe jaune à fleurs que l’imposante ex-première dame s’est présentée aux assises, à Abidjan, lundi, pour décliner son identité. «Confiante et impatiente de donner sa part de vérité», selon son avocat, Rodrigue Dadjé, qui se dit certain que «rien ne pourra jamais noyer l’aura de Madame Gbagbo».

Elle doit se défendre des accusations «d’atteinte à la sûreté de l’État» dans le cadre de la crise postélectorale de 2010-2011. Son passage aux assises clôt les auditions du procès-fleuve, entamé en décembre, de ces événements.

Tout au long de son combat syndicaliste et politique, Simone Gbagbo s’est illustrée par une radicalité si brutale qu’elle terrifiait jusqu’à son propre sexe, et dans ses propres rangs. «Elle n’avait aucune compassion naturelle pour les femmes», se souvient une ancienne ministre de Laurent Gbagbo. En 2001, des femmes du RDR, le Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara, sont violées à l’école de police d’Abidjan après une manifestation. «Les gens se disent qu’elles l’ont peut-être un peu cherché», tranche-t-elle lors d’une interview télévisée.

Soupçonnée d’avoir été à la tête des «escadrons de la mort» qui éliminèrent plusieurs opposants lors du régime Gbagbo, elle a aussi été entendue par la justice française sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004, qui avait rendez-vous avec son beau-frère le jour où il a été enlevé. Ce qui n’empêche pas son avocat d’affirmer qu’«à aucun moment, Madame Gbagbo n’a appelé un Ivoirien à s’en prendre à un autre Ivoirien. Elle s’en est simplement tenue à des critiques politiques».

«Dieu a donné la victoire à Laurent»

Car Simone Gbagbo est une militante de la première heure. Née Ehivet en 1949 près de Grand-Bassam, une ville au fort passé colonial située à 30 km d’Abidjan, cette fille d’un gendarme, issue d’une famille de 18 enfants, se passionne pour la linguistique et l’histoire.

Elle obtient en France une maîtrise de langues modernes et un doctorat à Dakar. Séduite par la politique et le syndicalisme, elle navigue ensuite dans les courants socialistes clandestins, et s’oppose au «Vieux», Felix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne.

Ce qui lui vaudra plusieurs incarcérations, des années 70 à 90. Des «épreuves», selon ses dires, endurées aux côtés de ses camarades masculins, qui lui vaudront l’ironique surnom de «premier homme de Côte-d’Ivoire».

Elle affirmera avoir été très violemment battue en prison, un tabassage en règle qu’elle invoque pour expliquer sa revancharde ténacité. Un bon nombre de rumeurs sur le Net font état d’un viol sur sa personne, qui n’a jamais été «ni confirmé, ni infirmé», selon son avocate Me Habiba Touré. En 1982, Simone cofonde avec Laurent Gbagbo, un «camarade» de l’époque, ce qui deviendra le Front populaire ivoirien. Elle en deviendra députée en 1985. En se mariant le 19 janvier 1989, le couple frondeur scelle davantage son implication «corps et âme» dans la lutte politique.

Simone Gbagbo, fervente pratiquante chrétienne évangéliste (les rares visiteurs de sa résidence surveillée Odienné – où elle resta trois ans – témoignent d’un emploi du temps fait de prières et de lectures religieuses), ne dissocie pas sa foi de son combat.

Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle, fin novembre 2010, Simone Gbagbo déclare par exemple que «Dieu a donné la victoire à Laurent», tandis que Nicolas Sarkozy, le «diable» néocolonialiste, cherche à s’emparer de la Côte-d’Ivoire.

Cette lecture messianique de la crise a conféré une stature mystique à la dévote Mme Gbagbo, qui a fait du croisement du religieux et du politique sa signature. Pasteurs et prophètes actifs sur la scène politique ont organisé des prières dans sa propre villa lors de la crise postélectorale.

Poursuivie par la CPI pour crime contre l’humanité, comme son mari, il est peu probable qu’elle soit envoyée à La Haye. L’État ivoirien argue d’être en capacité de juger «Maman» à domicile.

Solène CHALVON-DEMERSAY Correspondance à Abidjan (Côte-d'Ivoire)

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